Duels d’artillerie avec NEPTUNE...
Rapport de combat du 1255ème groupe d’artillerie côtière, 6 juin 1944 : “La portion de côtes attribuée au groupe fut survolée à basse altitude par de nombreux appareils tirant de lourds planeurs de 70 à 80 m dans le secteur de Bénerville, Auberville, la campagne de Blonville et le sud des Champs Rabats. Le groupe d’artillerie a donné, à minuit trente-cinq, l’alarme de niveau 2, avec défense rapprochée. Dans les alentours immédiats des positions de batteries, de nombreux sauts de parachutistes ont été combattus par la DCA, les mitrailleuses et les armes d’infanterie. De nombreux lâchés de bombes sur l’estuaire de l’Orne et le secteur d’Houlgate ont eut lieu et se sont prolongés jusqu’à quatre heures du matin. Au clair de lune, il y avait déjà, à 3h40, des nuages bas; les silhouettes de nombreux bâtiments ont été repérées en avant de la côte, entre Trouville et l’estuaire de l’Orne. Pour cette raison, cette observation et le rapport minutieux de la division sur la situation d’un débarquement imminent dans le secteur de l’estuaire de l’Orne, donnent la possibilité au groupe de faire feu sur les objectifs reconnus...” (traduction du rapport).
Les quatre pièces ouvriront donc le feu dès l’imminence du débarquement allié : ce seront vraisemblablement les premières... Leur distance pratique de tir ne leur permettra pas d’atteindre les plages de débarquement les plus proches du secteur SWORD. Nous étions ce jour là sous vents d’ouest dominants, les deux casemates avaient un débattement horizontal de tir limité à 120° ; quant aux pièces à découvert, le pilonnage incessant, qu’il soit aérien ou maritime, commencé dès l'aube par les avions et les navires alliés, freinait quelque peu leur ardeur. Le duel s’engagera alors avec les navires britanniques en position face au Havre. Même si l’un des cuirassés devra prendre du recul pour éviter les coups et se retrancher derrière un écran de fumée, leur mobilité et leur puissance de feu auront raison des canons de la batterie de Bénerville. Trois navires de la Royal Navy allaient intervenir dans le pilonnage du Mont, au matin du 6 juin. Ils appartenaient à la Force “S”, secteur d’activité britannique, placé sous les ordres du Contre-Amiral TALBOT, à bord du H.Q.Ship H.M.S LARGS. Eléments supports d’artillerie navale, les cuirassés WARSPITE, RAMILLIES et le monitor ROBERTS étaient, avec les croiseurs MAURITUS et ARETHUSA, les éléments engagés les plus à l’Est de l’Eastern Task Force, la force d’assaut orientale. Ils seront rejoints, après le 6 juin, par le cuirassé RODNEY qui avait été gardé en réserve.
Le WARSPITE et le RAMILLIES, avec des états de service différents (le second ne participa pas à la première guerre mondiale) furent lancés en 1913, le ROBERTS en 1941. Le WARSPITE sera vendu à la ferraille en 1946 : refusant de “mourir”, il rompit les amarres qui l’emmenaient à la casse ; il restera échoué et sera progressivement dépecé jusqu’en 1956. Le ROBERTS, qui avait la batterie d’Houlgate comme point de mire, sera ferraillé en 1965. L’activité et les cibles dévolues a ces trois navires sur les plans d’invasion seront parfois différentes de la réalité, on tirera en fait au “coup par coup”. Plus que leurs performances ou leurs caractéristiques techniques, il s’agissait, au Jour J, de duels d’artillerie et de pilonnages : il est intéressant de citer la puissance de leur armement lourd afin de la comparer à celle des batteries auxquelles ils s’opposaient : - le WARSPITE : 8 pièces de 381 mm, en quatre tourelles de deux tubes et 14 pièces de 152 mm. - le RAMILLIES : armement identique. - le ROBERTS : 2 pièces de 381 mm et 8 pièces de l00 mm. - le RODNEY, qui rejoignit les côtes normandes après le débarquement, était lui, plus lourdement armé avec 9 pièces de 406 mm en trois tourelles triples. Nous devons à nos amis de la “H.M.S. Warspite Association” cet extrait du carnet de bord du cuirassé : Sur l’efficacité même des bombardements navals, dont les projectiles étaient en général plus percutants et les tirs plus précis que ceux des bombardements aériens, les avis restent partagés. Ainsi, et malgré les 350 coups de marine ayant été tirés sur le Canisy le seul 6 juin (les statistiques sur le nombre de coups divergent quelque peu selon les sources), les deux canons sous casemates sont restés intacts. Faire taire des batteries installées à ciel ouvert, pourtant protégées par d’épais talus de terre, s’avérait plus facile, même si leur silence était parfois de courte durée, que de réduire des pièces sous casemates bétonnées où, seul, le coup direct au but était efficace. Dans les deux cas, le ravitaillement en munitions pouvait être rendu difficile -ce sera le cas sur le site, mais l’effet psychologique sur les servants était évidemment moindre, à l’abri sous d’épaisses couches de béton. Par contre, l’effet de désorganisation était important : cratères, colmatage de tranchées, destruction de lignes téléphoniques coupant tous les contacts entre le poste de direction de tirs et les pièces. Ce dernier point sera peut-être, finalement, le plus efficace et en grande partie à l’origine de l’échec des artilleurs allemands. Quant à l’activité de la batterie entre le 6 et le 13 juin 1944, elle est citée dans le rapport du Major GUNTHER qui commandait le groupe d’artillerie 1255 H.K.A.A. : “les succès suivants, certifiés par des témoins irréprochables”, ont été enregistrés... - le 6, un croiseur sévèrement endommagé, dix navires légèrement touchés. - le 7, un croiseur sévèrement endommagé, cinq navires légèrement touchés. - le 9, un bâtiment de secours coulé, un croiseur léger et six lanceurs de roquettes sévèrement endommagés. - le 10, un lanceur de roquettes légèrement touché. - le 11, deux navires légèrement touchés. - le 12, un seul navire légèrement touché. - le 13, trois patrouilleurs légèrement touchés et trois autres patrouilleurs sévèrement endommagés, les barrages de ballons sont partis en fumée... Au total : un navire de 1.200 tonneaux coulé (soit l’équivalent de 3.396 tonnes), douze navires sévèrement endommagés évalués à 18.900 tonneaux, vingt deux navires légèrement touchés évalués à 105.700 tonneaux.... Des résultats qu’il faudrait pouvoir rapprocher des états de pertes de la Royal Navy...! (Extrait d'un texte de Jean Laurent)
Le HMS Warspite, le 6 juin 1944 face au Mont Canisy (Collection IWM) Le HMS Ramillies |