La galerie souterraine L’ouvrage souterrainConstruit pour “l’O.T.” par la firme allemande SAGER et WOERNER, ouvrage non normalisé, unique entre Cherbourg et le Havre. Il était destiné à l’entrepôt des munitions lourdes des pièces d’artillerie de la batterie et au casernement de leurs servants. Creusé en permanence à -13,-15 m sous terre, il n’existait pas, à l’époque de projectile aérien ou de marine capable de perforer une telle épaisseur de calcaire et de terre caillouteuse. Ses accès routiers, au sud de la plateforme étaient censés lui assurer une certaine tranquillité (!). A l’exception de l’évacuation des matériaux de percement, travail effectué à la pioche et au marteau pneumatique, sa construction était difficilement décelable sur des clichés de reconnaissance aérienne. Encore que la plateforme constituée en bordure de chemin par des m3 de gravats était, malgré le luxe de précautions prises, un indice précieux pour les observateurs avertis : l'occupant allait s’employer à faire dissimuler l’amoncellement, au fur et à mesure, par des projections de peinture verte...! Dessin de la galerie par Philippe Guibert - @AMC 2020
On entre actuellement dans cet ouvrage par une ouverture béante pratiquée dans le mur de façade, à gauche d’un accès plus réduit qui était équipé, à l’époque d’une porte blindée de modèle normalisé et qui était la seule entrée sur le chemin des Enclos, au moment du débarquement et dans les semaines qui suivirent. Il faut, là, rétablir l’exactitude des faits, sur la foi d’un rapport d’origine allemande retrouvé dans les documents de Bundesarchiv.
L’ossature de l’ouvrage est constituée par deux tunnels
longs de 205 et 45 m plus connus comme étant la grande et la petite galerie. La
première était parcourue par une voie ferrée connectée au réseau provenant de
la gare de Deauville. Son entrée, fermée par une grille dont le pivot d’origine
subsistait encore en 1999, et qui a, depuis, fait le bonheur d’un
collectionneur, se situait à trois mètres en retrait par rapport à l’actuelle
façade d’accès. Le dimanche de Pâques, 23 avril 1944, à 11h, donc, en principe, en l’absence d’ouvriers, de requis ou de prisonniers sur le site et deux jours après une mission de reconnaissance photo, l’aviation alliée bombarde le Mont Canisy. L’une des bombes du chapelet prenant le site en enfilade, termine sa course, par le plus grand des hasards, sur le tunnel d’entrée de la petite galerie, accès des personnels de la batterie. Tunnel qu’elle détruira, provoquant l’affaissement de la falaise, mais surtout l’incendie d’un dépôt de munitions livrées la veille et non encore stockées dans les soutes de l’escalier le plus proche, incendie attisé par un courant d’air permanent propre à l’ouvrage dont les accès en surface ne comportaient pas de fermetures. Le rapport allemand fera laconiquement mention de deux morts, un militaire et une civile employée à la cantine, mais surtout de 42 “brûlés aux 2 et 3ème degrés” sur le sort desquels le rapport reste muet quant à leur éventuelle survie.
A la suite de cet accident, la petite galerie sera fermée,
condamnant ainsi définitivement son accès sur le chemin des Enclos. En tirant
la leçon, l’Occupant modifiera l’entrée du grand tunnel, telle que nous la
connaissons aujourd’hui, afin de limiter la propagation du feu et des effets
des explosions. Ce rapport a donc permis de mettre un terme aux différentes versions qui furent, faute de connaissance des lieux, émises et qui restèrent bien ancrées dans les esprits : bombe dans une gaine de ventilation ou dans une centrale électrique de la galerie...
De 1956 à 1958, l’ouvrage sera transformé en
champignonnière, par un cultivateur de la région. Afin de pouvoir accéder aux
alvéoles avec son véhicule, il fera pratiquer l’actuelle ouverture dans le mur,
au marteau-piqueur : à en juger par l’aspect “penché” de la façade, il est
vraisemblable qu’il y ait eu plus d’explosifs employés que d’air comprimé ! L'humidité excessive, le manque de ventilation (tous les escaliers avaient été murés à la base pour tenter d'éviter les vols) provoquant le pourrissement des champignons, décourageront l'exploitant. De cette époque, il subsiste des amoncellements de blocs de béton, restes des murages, aux pieds des escaliers et qu'il nous faut évacuer ainsi qu'une épaisseur de terre à champignons sur les sols et le colmatage de tout le réseau d'assainissement qu'il nous faut dégager pour assurer un bon écoulement des eaux de suintement et limiter l'humidité ambiante particulièrement abondante en saison chaude. L'existence de deux tunnels se raccordant à 46 m pour relier ensuite par une seule galerie de 160 m, cinq escaliers débouchant à proximité des emplacements de pièces en surface, peut trouver, en l'absence de documents techniques d'origine, deux explications plausibles.
En effet, lors de l'aménagement, en 1941-42, des six pas de
tir en surface, chaque encuvement était jumelé à une soute à munitions,
enterrée, de type H.134. En 1943, pour les constructeurs, le défi consistait à
relier ces soutes à la galerie par les escaliers, ce qui impliquait une
certaine précision dans l'emplacement et l'orientation de ces derniers, soutes
et encuvements étant disposés en arc de cercle et devant pouvoir être rejoints
depuis le casernement dans les délais les plus rapides. La grande galerie était parcourue par la voie ferrée étroite sur laquelle les wagons étaient manipulés manuellement. Pour des raisons de sécurité (transport de munitions oblige !), il est vraisemblable que la déclivité de cette voie devait être réduite au minimum. Sur cet axe, en direction de son extrémité, donc wagons chargés, elle est de 3,40 m pour 206 m, soit + 1,65%. Sur ses seuls 46 m, le petit tunnel accuse là une déclivité de + 3 m, soit 6,52%, due au relief local particulièrement pentu et à une profondeur protectrice qu'il fallait maintenir. On a donc dû se résoudre à prolonger la grande galerie avec une pente acceptable.
La soute de l'encuvement n°6, le plus à l'Ouest, se situe
"horizontalement" à 60 m de l'axe de la grande galerie, les autres
n'étant éloignées que de 32 m en moyenne. Les difficultés de jonction sur une
telle distance (par escalier plus long ou prolongement par tunnel, avec des
manipulations supplémentaires pour les munitions) ont peut-être influencé le
choix : un choix sans doute regretté à la suite de l'accident du 23 avril
1944... Structures et aspects intérieurs des deux galeries présentent des différences.. Sur ses 45 premiers mètres, le grand tunnel a une section conique arrondie au sommet, constituée de parpaings non enduits au plafond. Au-delà de la jonction, la section, identique à celle du petit tunnel, a une forme arrondie, plus "ventrue".
Les revêtements des parois présentent divers aspects :
enduit de ciment lissé, parpaings jointés, brut de décoffrage... Les abords de
l'intersection avec la sortie n°4 semblent avoir été l'objet d'une réfection à
l'époque : c'est la partie la plus humide du souterrain ; on y trouve de
nombreuses traces d'infiltration d'eau et des stalactites de calcaire en formation
sur la voûte ainsi que des écoulements d'eau au niveau du sol... Les soixante-dix derniers mètres de la la grande galerie qui étaient encore encombrés de terre et de gravats, ainsi que le caniveau central et les puisards ont été déblayés au début de 2003. Ce sont donc désormais les 250 m de couloirs qui ont retrouvé leur aspect d'origine et qui peuvent être désormais parcourus par les visiteurs.
A signaler : ce qui était sans doute l'emblème des
bâtisseurs de TODT, une tête de cheval de trait, dessinée sur une paroi et
encore visible, ainsi que des marquages d'accès aux escaliers, de type AV pour
Ausgang 5 et aux alvéoles IIG pour Gruppe 2. Soutes, alvéoles et escaliers Six escaliers, d'une soixantaine de marches, permettent d'accéder aux paliers de surface. Ils étaient "doublés" chacun par deux voies ferrées étroites, équipées de deux wagonnets fonctionnant en funiculaire, l'un montant, l'autre descendant, servant à acheminer les munitions. Les sorties en surfaces des escaliers 2 à 6 étaient équipées d’un tobrouk de protection sur l’une des deux issues. Plusieurs soutes portent des traces l’impacts de balles ou d’explosions de grenades : nombreux furent les jeunes -et les moins jeunes qui se défoulèrent là après la libération. Actuellement, seules les sorties 1,2,4 et 6 sont utilisables, l’état de destruction des deux autres les a définitivement condamnées.
L’ouvrage était alimenté en 220 v. Chaque alvéole, palier,
tunnel ou escalier, était équipé en éclairage: on relève jusqu’à 90 points
lumineux pour les alvéoles et soutes du rez-de-chaussée. Deux blocs de sanitaires, l’un à l’entrée, l’autre en milieu de grande galerie, jouxtant l’infirmerie et bénéficiant d’une trappe de ventilation en surface, sanitaires du plus pur style “tinettes” militaires, ont dû être une grande première sur le site : en effet, aucun des abris pour groupes de combat, de première ou de seconde génération, n’était équipé de WC ! Deux citernes d’eau potable sanitaire, d’une contenance totale de 50 m3, étaient alimentées par le réseau en provenance du château d’eau de Tourgéville. La conduite enterrée dans le chemin des Enclos est toujours en état de fonctionnement, le tuyau de raccordement à l’ouvrage existe toujours. Quant à l’eau potable alimentaire, elle était contenue dans des bouteilles en verre, capsulées, dont de nombreux exemplaires ont été retrouvés après le départ de l’Occupant.
L’humidité sera sans doute le point faible de cet ouvrage.
La colline étant parcourue par de nombreuses sources très actives, la
modification de leur écoulement naturel par des masses de béton -non vibré, donc
peu compact, sera à l’origine d’infiltrations. La partie du tunnel proche de
l’escalier n°4 en est la preuve. Des rigoles de récupération des eaux de
suintement, en bas des murs, un réseau de caniveaux bétonnés recouverts de
dalles, de près de 600 m de long parcourant les axes de tous les éléments et se
déversant dans les regards d’une buse souterraine centrale dans chaque tunnel,
rejoignant un collecteur extérieur avaient été prévus : ont-ils résolus le
problème à l’époque où ils pouvaient fonctionner normalement ? Les caniveaux et
les regards, longtemps bouchés par des gravats, conséquence de l’utilisation de
la galerie comme champignonnière ont évidemment contribué à dégrader la
situation. Le réseau est désormais nettoyé, débarrassé de ses gravats et l’écoulement de l’eau s’améliore. Mais si la boue a été éliminée du couloir central, l’ensemble de l’ouvrage baigne toujours dans un taux d’humidité exceptionnellement élevé en été, proche en permanence des 100 % et qui contraste parfois avec une sécheresse totale en hiver. La température moyenne est de 13-14°.
S’il reste des éléments de rails, noyés dans le béton, en
particulier sur les paliers hauts et bas, l’état actuel des marches s’explique
là aussi par la casse de récupération effectuée par les ferrailleurs. Les 25 alvéoles, de surfaces variables, destinées au casernement, regroupées pour 23 d’entre-elles en “gruppes” de 3 ou 4 affectés à chaque escalier -donc à chaque pièce d’artillerie, ainsi que les 12 soutes à munitions étaient toutes isolables par des portes métalliques non blindées. Il existe, pour certaines de ces alvéoles, des séparations internes ou des traces de murage des portes donnant sur le tunnel : pas d’explications, à ce jour pour ces variantes.
Sans doute une erreur de conception : l’escalier n°5
débouche, dans le tunnel, face à une alvéole de casernement qui peut être prise
en enfilade par une arme automatique... : son entrée sera murée. Erreur
d’ailleurs répétée sur les portes des soutes à munitions de ce même escalier,
qui sont face à face, favorisant ainsi la propagation d’un incendie ou d’une
explosion, ainsi que sur la sortie d’escalier n°6 : des erreurs qui ne se
reproduiront pas sur les accès suivants, tous en quinconce, comme d’ailleurs
les portes de soutes. L’infirmerie a été identifiée grâce à deux croix rouges
retrouvées à l’entrée de l’alvéole concernée, salle contigüe à ce qui devait
être un cabinet de toilette (traces de fixations de lavabos), ainsi qu’à une
salle de repos à laquelle on accède par un plan incliné qui devait faciliter le
passage de brancards roulants. Une infirmerie qui n’a sans doute pas eu le
temps d’être utilisée ; on ne retrouve d’ailleurs aucune traces de fixations
sur les murs de placards, d’étagères ou de matériel médical. L’ensemble de l’ouvrage est couvert de tags: couleurs, thèmes, textes, ne sont pas toujours du meilleur goût. Grand ouvert au “public” depuis 1944, il n’a retrouvé la tranquillité qu’en 1996 avec la mise en place par l’association de portes métalliques sur toutes les issues. Quelques vestiges de marquages allemands subsistent encore à l’entrée des alvéoles ou des escaliers. A l’emblème de TODT cité précédemment, il faut ajouter une fresque représentant une scène de champs de courses qu’on peut estimer être d’époque, par les couleurs employées. Encore une légende qu’il faut éliminer : l’ouvrage souterrain était une caserne et non un château fort ! Il n’y a jamais eu de sorties secrètes pour s’en échapper et rejoindre les postes les plus divers : villa Strassburger, Hôtel du Golf, quand ce n’était pas le château de Bonneville sur Touques ! Lorsque les premiers français se hasarderont dans l’ouvrage après son abandon dans la nuit du 21 au 22 août 1944, c’est une impression d’inoccupation humaine qui prévaudra, avec l’absence de tous ces petits détails qui caractérisent l’abandon brusque d’un lieu de vie. Texte extrait de la brochure "Petite histoire du pasé militaire du site des anciennes batteries d'artillerie côtière" Par Jean Laurent - Edition 2014 - 13€ En vente sur la boutiquer du site des AMC |